En 1927, reprenant ses notes au sujet de croix rupestres observées dans les Corbières *, notamment dans les vallées de l’Agly et du Verdouble, Germain Sicard, médecin et archéologue, ne peut s’empêcher de donner son avis sur ces croix que signale l’abbé Henri Boudet dans son livre La vraie langue celtique, et constituant les principaux jalons de son fameux cromleck de Rennes-les-Bains.
De son propre aveux, Germain Sicard se perd en conjectures concernant ces croix, leurs formes différentes et leur éparpillement. “Nous ne pouvons admettre ici la raison, souligne-t-il, qui fit surmonter de l’emblème chrétien nombre de menhirs ou peulvans et les fit ainsi sanctifier pour détruire les superstitions païennes auxquelles ils donnaient lieu.”
Il s’exaspère des tranquilles certitudes du curé de Rennes-les-Bains, quand à trouver une explication logique à ces symboles gravés.
Qualifiant l’ouvrage de l’abbé Boudet de “curieux et hétéroclite”, il reproche à l’auteur de les avoir signalés “en leur donnant une interprétation fantaisiste, comme il a fait d’ailleurs pour tous les soi-disants mégalithes qu’il a cru voir dans les environs.” Et Germain Sicard de citer les passages où l’abbé Boudet indique les croix rupestres qu’il croit reconnaître sur des roches, autour de Rennes-les-Bains.
« 1° Au tournant du chemin en face du village de Serres se trouve une roche qui porte aujourd’hui une croix de pierre et où l’on voyait autrefois une croix grecque semblable à celles qui existent présentement au Cap de l’Homme mort et à proximité du Rocher Branlant (page 229).
« 2° Une petite croix gravée au col de Cugulou, au-dessous de grosses pierres rondes transportées sur la base rocheuse. Tout près est une borne indiquant la séparation de Coustaussa et de Rennes-les-Bains. Cette borne porte sur la face qui regarde Coustaussa un écusson, celui du seigneur de Coustaussa ; sur la face opposée, celui du seigneur de Rennes.
« 3° On voit une croix sur un rocher au tènement qui porte encore le nom de Cap de l’Homme, où était sculptée en relief une figure du Christ. Cette sculpture est, paraît-il, aujourd’hui en possession de M. Cailhol, à Alet (page 394).
« 4° A gauche, en face de la station thermale et son église paroissiale, on découvre sur les roches environnantes des croix grecques profondément gravées par le ciseau et mesurant 30 à 35 centimètres. Ces croix à branches égales sont au nombre de cinq sur ce point.
« 5° Une sixième croix grecque dans une large roche, se trouve assez loin du Cap de l’Homme, sur le bord de la crête Sud, en tête du terrain dit pla de la Coste, de l’autre côté du ruisseau de Las Breychos (fées).
« 6° On voit encore deux autres croix grecques toujours gravées dans la pierre, en suivant le bord du plateau, jusqu’à la tête de la colline portant le nom d’Ilette. Au lieu dit Las Crosses, près de Montferrand, les croix qui devaient y être gravées ont disparu, sous l’amoncellement des pierres (pages 252).
« 7° Enfin, après la description d’un prétendu dolmen qui n’est qu’un accident produit par un éboulement de rochers, l’auteur signale, directement au-dessus, une roche de la crête portant gravée une croix grecque. C’est la plus grande de toutes celles, dit-il, qu’il nous a été donné de reconnaître ( p. 245).
Evidemment, Germain Sicard ne croit pas aux explications de l’abbé Boudet ni même à l’existence de certaines croix dont notre curé fait le catalogue. Il se gausse même de lui et le tance de voir des mégalithes là où n’existent que des éboulis de rochers !
Il termine en reprochant au viel abbé de n’avoir pris ses sources qu’auprès d’auteurs antiques, dont aucun n’avaient conscience de ce qu’était la Préhistoire, mais surtout de s’être retranché derrière des vulgarisateurs, tel Louis Figuier, dont le conformisme empêche le lecteur soucieux de s’instruire d’avoir une saine approche du sujet abordé. Que n’a-t-il pas eu recours à des spécialistes plus autorisés que le sont Tournal, Filhol, de Mortillet, Carthailac et quelques autres encore ? s’exclame Germain Sicard.
* Bulletin de la société d’études scientifiques de l’Aude, t. XXVIII, 1924, p. 12 et pp. 23-25.
Référence : Germain Sicard, “Note sur les croix rupestres des Corbières”, Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, t. XXXII, 1928, pp. 370-373.