Selon la belle histoire, Nicolas Fouquet, le prestigieux Surintendant des Finances de Louis XIV, aurait été un des bénéficiaires du trésor de Rennes-le-Château, après qu’un certain Ignace Paris, petit berger de ce village, ne découvre par hasard, au fond d’un aven, un prodigieux trésor. Par un concours de circonstance, ce secret aurait été connu du peintre Nicolas Poussin, qui en aurait fait part à Louis Fouquet, frère du surintendant.
Disposant de ressources pratiquement inépuisables, Nicolas Fouquet se serait alors lancé dans des dépenses somptuaires. Son château de Vaux-le-Vicomte, près de Melun, serait le fleuron de cette prodigalité. Convaincu que Fouquet pille les finances de l’Etat , il le fait arrêter et ltraduire devant un Tribunal. S’ensuit un procès retentissant au terme duquel l’accusé fut condamné à finir ses jours en forteresse. Si bien qu’il mourut à Pignerol, une de ces citadelles lugubres du Nord de l’Italie, au terme de dix-neuf ans de détention !
Madame de Sévigné, dont l’abondante correspondance fait écho de l’actualité de son temps, a plusieurs fois commenté les rebonds de cette pitoyable affaire, qui ne fut, en réalité, que le succès d’une cabale orchestrée par Colbert.
Ses courriers, précisément, elle les adresse à M. Pomponne de Bellièvre, en poste aux Affaires Etrangères, mais qui connaissait la disgrâce royale pour avoir parfois été l’hôte du proscrit. En conséquence, Pomponne avait été assigné à ne pas quitter Verdun, sans ordre. C’est ainsi que Mme de Sévigné le tint informé par le menu pendant toute la durée du procès.
Lettre du 17 novembre 1664
Après trois années de procédure, Fouquet comparut pour la première fois le 14 novembre, devant la Chambre de Justice de l’Arsenal. Tout de suite, il se voit en butte à l’hostilité du chancelier Seguier, qui veut l’humilier par des remarques inappropriées et des considérations vexatoires.
Lettre du 18 novembre
Même ambiance électrique. Cette fois, M. Fouquet fait bonne impression. Commentaire : “S’il continue, ses interrogations lui seront bien avantageuses. On parle fort à Paris de son admirable esprit et de sa fermeté.”
Lettre du 21 novembre
Fouquet se lasse de certaines questions insidieuses. “Il s’est imaptienté sur certaines objections qu’on lui faisait, et qui lui ont paru ridicules. Il l’a un peu trop témoigné, a répondu avec un air et une hauteur qui ont déplu. Il se corrigera, car cette manière n’est pas bonne; mais en vérité, la patience échappe : il me semble que je ferais tout comme lui.”
Lettre du 26 novembre
Avant l’audience, Séguier est tancé par Louis Berrier, une éminence grise de Colbert. On reproche au chancelier son hostilité affichée envers l’accusé, ce qui ne fait pas bonne impression. Pour le coup, à la séance du matin, Séguier s’emporte en demandant : “Qu’on fasse entrer Fouquet; puis se ravise : M. Fouquet.“…
Lettre du 28 novembre
Cette fois, il est question des sommes que Fouquet remettait à des créanciers sans qu’il en délivre les reçus simultanément. Fouquet fit voir à Séguier qu’à l’époque même où il était en activité, le chancelier profita de ce principe, sans quoi il eut été contraint d’attendre parfois un mois avant d’obtenir ses appointements. Séguier fut obligé d’admettre le procédé.
Lettre du 1er décembre
Alors que le procès devant s’éterniser, afin de mieux lasser le public, ceux qui décidaient changèrent de stratégie. Si bien que ce matin du samedi 29 novembre, Séguier lut si vite une liste de dix chefs d’accusation que Nicolas Fouquet s’en formalisa : Vous m’interrogez, et il semble que vous ne voulez pas écouter ma réponse; il m’est important que je parle.
Lettre du 2 décembre
Fouquet est interrogé sur une affaire de six millions et sur ses dépenses. L’accusé a parlé pendant deux heures. Il a dit des merveilles ; tout le monde en était touché, chacun selon son sentiment. Le conseiller Pussort eut alors cette désobligeante rémarque : “Dieu merci, on ne se plaindra pas qu’on ne l’ait laissé parler tout son soûl.”
Lettre du 4 décembre
Ce jour-là, on focalise sur un vieux document trouvé dans sa maison de Saint-Mandé, derrière un grand miroir. C’est un projet de résistance et de fuite à l’Etranger. Le surintendant rétorque que ce sont là des sottises qu’il avait oubliées. “Mon malheur est de n’avoir pas brûlé ce misérable papier, qui était tellement hors de ma mémoire et de mon esprit.” Il insiste en faisant profession de foi de son dévouement au roi et même à une époque – pendant la Fronde, où beaucoup avaient tourné casaque. Le rappelant à Séguier qui était de ceux qui “donnaient passage à l’armée qui était contre lui” (le jeune Louis XIV).
Lettre du 9 décembre
A l’encontre des agissements de Fouquet, le chancelier Séguier ose parler de crime d’Etat. L’accusé lui rappelle ce que cela veut dire, pour bien lui faire peser la vérité des mots: “Un crime d’Etat, c’est quand on est dans une charge principale, qu’on a le secret du prince, et que tout d’un coup on se met à la tête du Conseil de ses ennemis; qu’on engage toute sa famille dans les mêmes intérêts; qu’on fait ouvrir les portes des villes dont on est gouverneur à l’armée des ennemis, et qu’on les ferme à son véritable maître; qu’on porte dans le parti tous les secrets de l’Etat. Voilà, Messieurs, ce qui s’appelle un crime d’Etat.”
Lettre du 13 décembre
En, l’état du procès, le procureur d’Ormesson se prononce pour un bannissement définitif et la confiscations des biens de l’accusé au profit ru roi.
Lettre du 17 décembre
Un magistrat du nom de Le Cormier de Saint-Hilaire annonça “pauvrement et misérablement” toute cette affaire avant de déclarer que Fouquet pourrait avoir la tête tranchée, à cause du crime d’Etat dont il était accusé. Déclaration similaire de l’assesseur Pussort pour qui le crime de Fouquet mérite “la corde et les gibets“.
Lettre du 19 décembre
Le clan Colbert est vent debout afion que Fouquet soit condamné au maximum, fusse la mort.
Lettre du 20 décembre
Le verdict est rendu : ce sera l’exil, à treize voix contre neuf. D’Ormesson est pour le bannissement; Sainte-Hélène et Pussort sont pour une sentence de mort.
Lettre du 21 décembre
Le roi a commandé à Mme Fouquet de gagner ses terres de Montluçon, “au fond de l’Auvergne”. En revanche, Fouquet voit son bannissement se transformer en forteresse à vie. Pignerol, dans le Piémont, sera sa prochaine destination. On lui refuse de revoir sa femme.
Lettre du 22 décembre
D’Artagnan en tête, Fouquet est conduit dans sa prison par cinquante mousquetaires. Puis, il sera placé sous la responsabilité de Saint-Mars, “qui est fort honnête homme“…
Lettre du 30 décembre
D’Artagnan fournit à Fouquet “toutes les fourrures nécessaires pour passer les Alpes sans incommodité.” Au cours de ce transport, le Surintendant se voit gratifier d’une lettre de Louis XIV, dans laquelle il lui souhaite bon courage.
Ce cynisme rappelle à Mme de Sévigné ces vers du Tasse : Godefroi écoute, et son air sérieux, inspire plus de crainte que d’espérance.
Le 23 mars 1672, Mme de Sévigné à sa fille, Mme de Grignan
Mme de Sévigné fait part à sa fille, Mme de Grignan, de l’incendie récemment survenu à Pignerol, parce que le duc de Lauzun, voisin de cellule de Fouquet, avait mis le feu au parquet de sa chambre. Ce n’est pas sans rappeler l’explosion du magasin à poudre de Pignerol qui fut pulvérisé par une explosion en 1665 et qui aurait pu causer la mort de Fouquet.
Lettre du 6 mars 1679, du comte de Bussy-Rabutincousin de la marquise de Sévigné
Pour la première fois, peut-être, Fouquet et Lauzun sont autorisés à une promenade commune.
Lettre du 3 avril 1680, Mme de Sévigné à sa fille, Mme de Grignan
Annonce de la mort de Nicolas Fouquet, à Pignerol.
Lettre du 5 avril 1680, de la même à la même
Au sujet de ce qu’il convient de faire du corps de Fouquet. “Si j’étais du conseil de la famille de M. Fouquet, je me garderais bien de faire voyager son pauvre corps, comme on dit qu’ils vont faire; je le ferais enterrer là; il serait à Pignerol ; et, après dix-neuf ans, ce ne serait point de cette sorte que je voudrais le faire sortir de prison. Je crois que vous êtes de mon avis.”
Au final, une première inhumation eut lieu dans un caveau de l’église Sainte-Claire, à Pignerol. Puis, un an plus tard, le corps sera rapatrié et déposé dans la chapelle sépulcrale des soeurs de la Visitation Sainte-Marie, rue Saint-Antoine, à Paris. Il y est toujours, derrière une plaque de marbre sans épitaphe.