Dans son livre L’Or de Rennes, Gérard de Sède raconte en quelles circonstances l’abbé Saunière serait monté à Paris. Particulièrement pour y faire déchiffrer des parchemins trouvés dans son église. Sur conseil de Mgr Billard, il aurait rencontré le directeur de Saint-Sulpice, Bieil, que Gérard de Sède qualifie d’abbé. Celui l’aurait adressé à son neveu, l’éditeur religieux Ané, qui, à son tour, le présenta à son petit-neveu Emile Hoffet, un jeune oblat de 20 ans.
N’allons pas plus loin, ce qui nous intéresse ici c’est la personnalité du directeur de Saint-Sulpice, Bieil.
A lire Gérard de Sède, on a l’impression que Bieil reçoit le Curé de Rennes dans l’entrebâillement de la porte de la sacristie de l’église de Saint-Sulpice. Le sésame serait une lettre de recommandation de l’évêque de Carcassonne. Or, qui fut celui que Gérard de Sède nomme l’abbé Bieil ? J’ai longtemps été dans le flou artistique, jusqu’à récemment, prenant connaissance d’un long article, publié en deux parties par Mgr Lucien-Léon Lacroix, évêque de Tarantaise (Voir sa fiche Wikipédia).
Cette biographie étoffée, intitulée “Monsieur Bieil, directeur de Saint-Sulpice, notes et souvenirs”, est parue dans La Quinzaine, revue littéraire, artistique et scientifique, tome LI (n° 201 – 1er mars 18903 : n° 204, 16 avril 1903). J’y ai eu recours.
D’emblée, je rassure le lecteur en précisant que le voyage de l’abbé Saunière à Paris, en 1891, est une fiction galvaudée par Gérard de Sède et son inspirateur Pierre Plantard (même s’ils n’en sont pas les véritables inventeurs), pour faire admettre un certain nombre d’éléments qui auront leur importance par la suite.
De son nom patronymique, Bieil se prénommait Jean François Victor. Il était né en 1835 à Boulogne-sur-Gesse (Haute-Garonne). Enfant, il fut aux prises avec un instituteur impitoyable. Heureusement, il trouva un peu d’humanité auprès du Curé de la paroisse, l’abbé Belloc. Déterminant un adolescent appliqué, il le fit entrer au Petit Séminaire de l’Esquile, à Toulouse. A cette époque, on le décrit grand de taille et doté d’une chevelure presque blonde.
Désormais, bachelier, il fut reçut en 1854 au Grand séminaire de Toulouse. Au bout de quatre ans, il fut orienté sur le Séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, pour y faire ce qu’on appelait le Grand Cours. C’était une année supplémentaire exigée seulement de l’éllite des élèves.
Les enseignants qui en étaient chargés étaient simultanément MM. Grandvaux, Brugères, Hogan et… Fulcran Vigouroux (lequel participera, en 1895, à ce fameux Dictionnaire de la Bible, publié par Letouzey et Ané, où l’on retrouve quelques pages du “Codex Bezae“).
Après son année de Grand Cours, il fut admis dans la Compagnie de Saint-Sulpice. Il avait vingt-cinq ans.
En 1860, il fut envoyé au Grand Séminaire de Clermont-Ferrand pour y enseigner la philosophie. Il y resta quatre ans, jusqu’en 1864. Il passa ensuite à Reims, pour y enseigner le dogme.
C’était alors une voie à suivre. De la philosophie, on passait au dogme avant de finir par la chaire de morale.
Pendant son professorat à Reims, il se fit remarquer avantageusement par l’archevêque du diocèse, Mgr Landriot, qui nomma Victor Bieil Supérieur général du Séminaire de Reims, en remplacement de M. Manier, qui venait de décéder. C’était en janvier 1871.
Pour le coup, notre homme se trouvait être le plus jeune de tous les Supérieurs des Séminaires dirigés par la Compagnie de Saint-Sulpice.
On n’en finirait pas d’énumérer tous les mérites de ce directeur Sulpicien. Son affabilité faisait souvent bon ménage avec ses choix d’organisateur, n’hésitant à bousculer certains protocoles et transgresser de lourdes habitudes doctrinales.
A la mort de son protecteur, Mgr Landriot, en 1875, on pensa à lui pour seconder M. Icard, Supérieur de la Compagnie de Saint-Sulpice, à Paris. Cette nomination faisait de lui la deuxième personnalité de cette pieuse compagnie. Son bureau se trouvait à Paris, au sein du Séminaire.
D’emblée, il s’imposa de ne jamais sortir de l’établissement, sinon pour accompagner les séminaristes destinés à étudier à l’école de la congrégation, à Issy-les-Moulineaux.
A Reims, comme à Paris, M. Bieil se distinguait par une approche humaine de sa tâche ; ses choix étaient reconnus et acceptés. Et lorsqu’il accordait un avantage ou une distinction, il n’y mettait aucune restriction ni condition.
Bientôt, au décès de M. Icard, lui succéda M. Captier. C’était un esprit moins statique que son prédécesseur qui, suivant les conseils de M. Bieil, fit encore évoluer les choses au sein du Séminaire.
En qualité de membre du conseil des Douze, en 1880 et 1886, il reçut mission d’aller visiter les établissements fondés par les Sulpiciens en Amérique. C’est à ce titre de délégué que M.Bieil y alla deux fois, à Saint-Charles, près de Baltimore (Etat du Maryland) et à Montréal, ville du Québec.
Sur le plan privé, presque tous les ans, il s’offrait le luxe de faire un séjour dans son village natal, dans le Comminges, et entretenait une correspondance avec sa petite-nièce, qui avait été élevée à Notre-Dame de Sion.
D’un âge quelque peu avancé, on lui reconnut une maladie de foie, ce qui l’obligea à suivre quelques cures à Vichy. Finalement, il mourut d’un cancer à l’estomac le 23 janvier 1898 à Salies-du-Salat (Haute-Garonne), au sein de la communauté des Sœurs de la Sagesse.
Il voulait faire un voyage à Rome et même entreprendre le pèlerinage de Jérusalem, il n’en eut pas le temps.
Comment ne pas penser que Pierre Plantard, à l’origine du manuscrit de L‘Or de Rennes, n’ait pas disposé d’un solide dossier, lui permettant de rendre crédible un certain nombre de faits qui lui eut été difficile de réunir dans la désinvolture et la précipitation.